Le syndrome du cœur brisé : un mal encore méconnu

Wooden hearts, one red heart on the heart background.

Le chagrin d’amour peut-il réellement vous briser le cœur ? Cette expression prend tout son sens avec le « syndrome du cœur brisé », également appelé cardiomyopathie de stress ou syndrôme de Tako-Tsubo. Derrière ce nom énigmatique se cache une pathologie cardiaque déclenchée par un événement brutal provoquant un stress intense.

Si le lien entre émotions et maladies cardiovasculaires est désormais bien établi, ce syndrome reste encore peu connu du grand public et même d’une partie du corps médical. Pourtant, il touche majoritairement les femmes autour de la cinquantaine et peut s’avérer mortel en l’absence de traitement adapté.

Décryptage de cette étrange maladie où le mental prend le pas sur le physique, faisant littéralement exploser le muscle cardiaque.

Qu’est-ce que le syndrome du cœur brisé ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, une émotion forte est capable de détraquer le fonctionnement du cœur, provoquant des lésions parfois sévères. On parle alors de « cardiomyopathie de stress », plus connue sous le nom de :

  • Syndrome du cœur brisé
  • Syndrome de Tako-Tsubo (terme japonais)
  • Cardiopathie de stress

Concrètement, sous l’effet du stress, le ventricule gauche du cœur (principale cavité assurant la circulation sanguine dans l’organisme) se contracte de façon anormale, perturbant la distribution du sang dans les artères. La pointe et les parois latérales du ventricule gauche sont les plus touchées, d’où la forme de pot à poulpe (« tsubo » en japonais) observée à l’échocardiographie.

Un phénomène connu depuis longtemps au Japon

Le syndrome du cœur brisé a été décrit pour la première fois en 199au Japon par les cardiologues Drs Sato et coll. Dans leur article princeps, ils rapportaient le cas de patients (majoritairement des femmes) hospitalisés pour un tableau similaire à celui d’un infarctus, mais sans obturation coronaire à l’angiographie. À la place, une ballomnisation transitoire de la pointe du ventricule gauche était observée.

Le terme de « tako-tsubo » fut alors introduit pour désigner cette présentation atypique. En japonais, « tako » signifie poulpe et « tsubo », pot. Cette appellation fait référence à la forme du ventricule gauche au moment de la crise, qui évoque un piège à poulpe.

Une pathologie méconnue en Occident

Bien que largement documenté dans la littérature nippone, ce phénomène est longtemps resté ignoré des cardiologues occidentaux. Ce n’est qu’au début des années 1990 que des cas similaires commencent à être rapportés aux États-Unis et en Europe.

En 1999, des médecins américains du Johns Hopkins Hospital décrivent pour la première fois 19 patients répondant aux critères du tako-tsubo (Pr Wittstein et coll.). Leurs travaux mettent en évidence le rôle majeur du stress comme facteur déclenchant et la libération de catécholamines (adrénaline…) à l’origine des troubles cardiaques observés.

Quelles sont les causes du tako-tsubo ?

Contrairement à l’infarctus qui résulte de l’obstruction d’une artère coronaire par un caillot sanguin (thrombus), le syndrome du cœur brisé n’est pas provoqué par un problème au niveau des vaisseaux.

Dans la majorité des cas, il survient à la suite d’un évènement brutal, générateur d’un stress psychologique ou physique intense :

  • Décès d’un proche
  • Accident
  • Diagnostic de maladie grave
  • Licenciement, perte financière…
  • Dispute violente, agression verbale ou physique

Mais des émotions positives peuvent aussi être en cause :

  • Mariage
  • Naissance d’un enfant
  • Succès professionnel…

On parle alors de « syndrome du cœur joyeux ».

Un dérèglement hormonal à l’origine des troubles cardiaques

Sous l’effet du stress, l’organisme sécrète massivement des catécholamines (adrénaline, noradrénaline…). Or, ces hormones stimulent le système nerveux et cardiaque : elles accélèrent le rythme cardiaque, augmentent la pression artérielle et la contractilité du muscle cardiaque.

Chez certains individus sensibles, ce déferlement hormonal serait à l’origine du tako-tsubo. En excès, les catécholamines provoqueraient des spasmes des artères coronaires, diminuant localement l’apport sanguin au niveau de la pointe et des parois latérales du ventricule gauche. Il en résulte un dysfonctionnement brutal de cette partie du cœur, mais sans lésion irréversible des cellules cardiaques (myocarde).

Des facteurs de vulnérabilité probables

Tout le monde ne réagit pas de la même manière face à une situation de stress intense. Certains individus semblent plus prédisposés que d’autres à développer un syndrome du cœur brisé. Mais les facteurs de vulnérabilité sont encore mal connus.

Le tempérament anxieux, un terrain dépressif ou de l’épuisement (burn-out) pourraient favoriser la survenue de la maladie. Son apparition serait également plus probable chez les personnes ayant des antécédents de troubles cardiovasculaires (hypertension artérielle, troubles du rythme…) ou une fragilité émotionnelle.

Par ailleurs, certaines études évoquent un possible terrain génétique, avec des prédispositions individuelles d’origine familiale.

Quels sont les symptômes ?

Les signes du tako-tsubo sont très proches de ceux observés en cas d’infarctus du myocarde. La crise se manifeste souvent de façon brutale par :

  • Une douleur thoracique intense
  • Un essoufflement (dyspnée)
  • Des palpitations
  • Des malaises vagaux (nausées, sueurs, sensation de faiblesse…)

Plus rarement, on peut observer une perte de connaissance ou un arrêt cardiaque inaugural. La crise dure généralement entre quelques minutes et quelques heures.

Dans certains cas, les symptômes sont toutefois moins bruyants ou inhabituels, ce qui peut retarder la prise en charge. Ainsi, la présentation clinique du tako-tsubo est polymorphe et non spécifique.

Qui sont les personnes à risque ?

Contrairement aux maladies coronariennes qui touchent plutôt les hommes, le syndrome du cœur brisé concerne majoritairement les femmes. On estime le sex-ratio à 9 femmes pour homme.

L’âge médian de survenue se situe autour de 60-75 ans. La ménopause semble être une période à risque, probablement en raison de la chute du taux d’œstrogènes à partir de la cinquantaine.

En effet, cette hormone sexuelle jouerait un rôle « cardio-protecteur » chez la femme, limitant notamment les effets délétères des catécholamines.

Toutefois, le tako-tsubo peut survenir à tout âge, y compris chez l’enfant ou l’adulte jeune. Des cas ont même été rapportés avant la puberté !

Des facteurs de risque communs avec les maladies coronariennes

Sans être spécifiques du syndrome du cœur brisé, certains facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels semblent favoriser sa survenue :

  • Hypertension artérielle
  • Diabète
  • Hypercholestérolémie
  • Tabagisme
  • Sédentarité
  • Surpoids

Une attention particulière doit donc être portée aux femmes ménopausées cumulant plusieurs de ces critères, d’autant plus si elles sont sujettes à l’anxiété.

Comment pose-t-on le diagnostic ?

Devant des signes évocateurs survenant dans un contexte de stress intense, le tako-tsubo peut être suspecté. Mais seule une batterie d’examens permettra de confirmer le diagnostic.

Éliminer un infarctus du myocarde

La première étape consiste à écarter une crise cardiaque «classique», provoquée par l’obstruction d’une artère coronaire (syndrome coronarien aigu).

À cette fin, deux examens complémentaires sont indispensables :

  • L’électrocardiogramme (ECG) : il objective des anomalies de la repolarisation (onde T négative), mais qui ne sont pas spécifiques.
  • La coronarographie : cet examen visualise les artères coronaires grâce à l’injection d’un produit de contraste radio-opaque. Réalisée en urgence, elle permet d’éliminer une obstruction coronaire, orientant vers le diagnostic de tako-tsubo.

Confirmer le tako-tsubo par imagerie cardiaque

En l’absence de lésion coronaire significative à l’angiographie, des examens complémentaires sont indispensables pour confirmer le syndrome du cœur brisé. Ils vont également préciser son retentissement sur la fonction cardiaque.

Les deux principales techniques utilisées sont :

  • L’échocardiographie : cet examen d’imagerie en coupes met en évidence les zones du myocarde peu ou pas contractiles, visualisant la forme en tsubo du ventricule gauche.
  • L’IRM cardiaque : grâce à des séquences spécifiques, l’IRM permet une analyse fine de la contraction du myocarde. Elle objective également d’éventuelles séquelles tissulaires (fibrose).

D’autres examens comme le scanner cardiaque peuvent aussi être réalisés pour analyser la fonction ventriculaire gauche.

Rechercher des marqueurs biologiques

Sur le plan biologique, le dosage sanguin de deux enzymes cardiaques (troponine et CPK) est systématiquement effectué. Contrairement à l’infarctus, leur élévation est toutefois modérée et transitoire dans le tako-tsubo.

Certains biomarqueurs pourraient également aider à confirmer le diagnostic, mais leur intérêt doit encore être précisé. C’est le cas du taux de catécholamines circulantes, de la proténine plasmatique et de microARN spécifiques.

Quels sont les traitements du syndrome du cœur brisé ?

Bien que spectaculaires, les manifestations du tako-tsubo sont habituellement réversibles en l’espace de quelques jours ou semaines. Une prise en charge précoce et adaptée est cependant requise afin d’éviter les complications, potentiellement mortelles.

Le repos et la surveillance rapprochée

Comme pour un infarctus, la première étape thérapeutique consiste en une hospitalisation en unité de soins intensifs cardiologiques. Un monitorage continu est instauré afin de dépister tout trouble du rythme ventriculaire (fibrillation) ou de la conduction cardiaque (bloc auriculo-ventriculaire).

Un traitement asymptomatique est également prescrit pour soulager les symptômes : antalgiques, anxiolytiques…

Dès stabilisation de l’état clinique, un régime sans sel, la pratique d’une activité physique douce et un sevrage tabagique sont recommandés.

Des médicaments pour soutenir la fonction cardiaque

Si le tako-tsubo s’accompagne d’une insuffisance ventriculaire gauche, avec risque d’œdème aigu du poumon, des médicaments inotropes positifs (dobutamine) peuvent être administrés en perfusion pour activer les récepteurs cardiaques bêta-adrénergiques.

De même, en présence de troubles sévères de la contractilité ou de la conduction cardiaque, des drogues vasopressives (catécholamines) sont parfois nécessaires pour maintenir la pression artérielle.

La prévention des complications thrombo-emboliques

Du fait de l’altération transitoire de la fonction ventriculaire gauche, il existe un risque de formation de caillots sanguins intracardiaques. Pour l’éviter, un traitement anticoagulant est instauré pendant quelques semaines (héparines, AVK…).

Par ailleurs, la prise d’antiagrégants plaquettaires (aspirine) pendant 6 à 1mois permet de réduire le risque de complications thrombotiques.

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